Fic 5

Les mains dans les poches, les épaules légèrement rentrées, il avançait le long du couloir qu'il connaissait déjà trop en trainant les pieds. Blondinet d'un mètre quarante, de presque douze ans. Petit garçon sage, voilà l'image que lui renvoyaient les vitres chaque fois qu'il passait devant les grandes fenêtres des classes de Neptune Junior High. Petit garçon sage... sans rire, comme si c'était sa vocation ! Alors il rentrait la tête et regardait obstinément le sol en ronchonnant, un jour pour sûr, Richard Casablancas second du nom serait beaucoup plus que cela. Que serait-il ? Ça, il ne le savait pas encore. Mais il n'en doutait pas, il finirait par trouver un but à sa vie, et là, terminé le blondinet, le second porteur de nom. Non, quand cette révolution viendrait, il se ferait peau neuve, il serait Rich! Non, pas terrible... Richy! Humm, trop usuel, Chard! Bah, pas très porteur.... Bon le nom pouvait probablement attendre un peu. En tout cas ce qui était sûr c’est que le jour de cette métamorphose patronymique, Madison Sinclair tomberait enfin dans ses bras forts et musclés. Son regard descendit alors le long de son biceps droit et remonta vivement. Enfin dans ses bras quoi. Après tout, elle était totalement faite pour lui : belle, riche, un peu cruche certes, mais qui voudrait d’une fille plus intelligente que soi ?

 Souvent il lui arrivait de l’observer du coin de l’œil, il s’imaginait déjà franchissant les grilles de Neptune High à son bras. A coup sûr que tous les deux réunis ils seraient les rois du lycée. Bon il faudrait quand même qu’elle fasse quelque chose pour sa poitrine, enfin si on pouvait appeler ça comme ça… Bah oui, comment pourrait-il régner sur cet univers impitoyable qu’est le lycée avec une fille qui fait à peine un 85A ? Tout simplement impossible ! C’était comme s’imaginer à Surfyland avec une planche en mousse de piscine municipale !

 Observant toujours avec attention les carreaux du couloir, il sourit à cette pensée. Il s’imaginait cheveux au vent, surfant sur la crête d’une vague sur une vieille planche en polystyrène violet. Oh Dude, il y a de l’idée là-dessous, sûr qu’on pourrait faire une caricature sympa pour un T-shirt de touriste… Il pouffa. On écrirait en dessous « surfe comme Richard, même sans matos tu gères la glisse. » Non, décidément, il manque quelque chose. Le nom, ça le fait pas…

 Tout à ses réflexions, Richard ne prêtait absolument aucune attention à son environnement. A croire qu’en un tour de main, il avait la capacité de se retrouver sacré roi au bal de promo du lycée, bimbo blonde à son bras, ou soulevant une coupe à une compétition de surf internationale après avoir battu Kelly Slater et consorts. Superficiels comme idéaux, peut être, mais c’était aussi ça être un Casablancas, qu’aurait-il besoin de courir après la fortune quand elle lui tombait déjà toute crue dans la main ? Enfin, du moins, c’est ce que le modèle senior de lui-même disait souvent en souriant. La vie est belle Casablancas, surtout quand tu peux aligner derrière. Ca il ne comprenait pas trop. Il avait bien essayé de marcher en ligne droite pour voir si ça plaisait à Madison, mais il n’était pas certain du résultat. Elle l’avait regardé étrangement, avec son espèce de sourire en demi-teinte qu’il aimait tellement mais qu’il n’arrivait toujours pas à interpréter. Enfin, il faut dire ce qui est, il la soupçonnait de réutiliser le même en différentes occasions. Ca ne lui facilitait pas la tâche, continuer à marcher en ligne droite pour tester la méthode de son père, ou laisser tomber tout de suite et passer à autre chose ? Peut-être qu’un Wonderbra ça marcherait mieux… D’une pierre deux coups, cadeau à la belle, qui semble subitement porter du bonnet B… Hummm, solution à méditer…

 Alors qu’il se voyait déjà dans les reflets des carreaux du sol les biceps au moins aussi artificiellement gonflés que les seins de la pauvre Madison, qui finalement n’avait rien demandé, Richard percuta soudainement un obstacle ferme mais confortable… Ejecté par la violence du choc face à sa corpulence de pré-ado, il se retrouva par terre, face contre ce qu’il semblait avoir percuté. Plutôt agréable comme sensation…

 Il tenta de lever les yeux vers le-dit obstacle afin de l’identifier, mais se trouvant au sol et ne pouvant reculer, il ne parvenait pas à faire bouger sa tête de plus de quelques centimètres sur le côté, toute la partie proéminente de son visage semblant coincée entre un double renflement. Il s’apprêtait à faire taire sa curiosité et à se laisser aller à l’étrange langueur qui l’habitait sans plus se poser de question, lorsque le corps non identifié qui le recouvrait se mit à bouger, et même à émettre des sons. Tout à sa découverte de sensations nouvelles, Richard ne parvint pas immédiatement à saisir la teneur de cette nuisance sonore nouvelle qui tentait de l’extraire de son expérience de la plénitude.

 Le son s’accompagnant soudain de mouvements brusques destinés à le faire quitter son nid de bien-être, Richard ouvrit les yeux qu’il avait depuis longtemps, lui semblait-il, fermés afin de profiter au mieux de ce bonheur nouveau. Il se retrouva alors face au visage maintenant cramoisi d’une jeune femme qu’il lui sembla reconnaître comme étant sa prof de mathématiques. Son regard se baissa alors de quelques centimètres afin d’identifier la source de ce presque nirvana auquel il venait de goûter. Ses yeux se firent plus gros que des soucoupes quand il comprit. Ça c’est sûr la Miss Equation ne faisait pas le maigre 85A de l’ex amour de sa vie. Loin de là… Un sourire naquit sur son visage, ce qui ne fit que renforcer le malaise de la pauvre enseignante.

  

 Non loin de là, à quelques casiers à peine, un jeune adolescent semblait fasciné par la scène se déroulant devant lui. Il détestait être le nouveau alors il avait traîné les pieds exprès ce matin-là. Tout pour arriver le plus tard possible dans cette classe où inéluctablement tout le monde le dévisagerait. Etre le fils de deux stars de cinéma pouvait paraître génial aux yeux de certains mais pour lui ce n’était décidemment pas une sinécure. Et puis au détour du couloir il avait aperçu ce petit blond perdu dans ses pensées. Il avait bien vu la prof arriver dans l’autre sens mais au lieu de prévenir l’accident qui ne manquerait pas de se produire il s’était réjoui. Cruel ? Peut-être… Mais il avait de qui tenir !

 Il s’avança donc vers la porte la plus proche, se calla contre le léger renfoncement que celle-ci faisait et attendit, savourant avec délectation sa position de spectateur discret. Il pensait assister à une simple percussion et pouvoir à loisir se moquer de cette tête de premier de classe, mais il fut sidéré de la tournure que prirent les évènements. Alors que la prof relisait apparemment ses notes, le petit blond ne leva pas un instant les yeux et percuta l’enseignante de plein fouet. Observant la scène, toujours avec cet amusement un peu sadique qui était le sien, le nouveau avait retenu un éclat de rire en voyant la prof s’étaler par terre et venir aplatir l’autre truffe au sol comme une crêpe. Et puis, quelque chose avait retenu son attention… Il s’attendait à un malaise généralisé, p’tet même des pleurs du premier de classe, pas cet étrange sourire de contentement lorsque sa petite tête de blond était venue se coincer pile entre les énormes seins de l’enseignante.

  

 Quittant pour un court instant du regard l’opulente poitrine qui s’était offerte à lui, Richard lança un clin d’œil complice à la jeune femme qui lui faisait toujours face. Quelque peu déstabilisée par la conduite de ce petit blondinet haut comme trois pommes, elle s’apprêtait à répondre sèchement lorsque celui-ci ajouta avec un air entendu.

 - Non, non, ne dites rien surtout. Le Dick sait déjà bien que la vie est belle, surtout quand on peut aligner derrière.

 Le Dick ! Ça c’était du nom ! Il évalua rapidement du regard la silhouette de son enseignante.

 - Et si l’arrière vaut l’avant, je vous assure que je peux gérer les lignes…

 Outrée, la jeune femme le fusilla du regard et ne put retenir son geste. Sa main vint brutalement claquer la joue du jeune garçon. Réalisant ce qu’elle venait de faire, elle resta un instant indécise, jeta un coup d’œil autour d’elle et rencontra alors le regard attentif d’un autre enfant fluet qu’elle ne connaissait pas et qui se tenait à quelques mètres d’eux. Soudainement honteuse, elle baissa la tête et traversa le couloir à grandes enjambées laissant les deux garçons face à face derrière elle. 

 Richard ou devrait-il dire Dick maintenant, n’avait jamais été très doué avec les inconnus. Il passait toujours pour le fils à maman, probablement à cause de sa chevelure dorée et de ses yeux bleus. Mais cette fois, il se sentait à l’aise. Peut-être à cause du sourire mutin que lui offrait son camarade ou pour la semi admiration qu’il distinguait dans son regard. Quoiqu’il en soit, il n’hésita pas un instant et tendit sa main à l’autre garçon. Il avait souvent vu son père faire comme ça. Tendre la main et annoncer son nom comme si celui-ci lui ouvrirait toutes les portes du monde.

- Dick Casablancas.

Ce nom sonnait décidemment vraiment bien à ses oreilles. 

 Sous ses yeux ébahis, le nouveau vit le petit blond perdre son aura angélique en un rien de temps, quelques mots à peine de la part de ce dernier et il comprit que si malaise il y avait, il ne se trouvait définitivement que du côté de l’enseignante. Comment avait-il dit déjà « si l’arrière vaut l’avant » ? Il avait été à ce point surpris par la répartie du jeune homme qu’il n’avait pas même pensé à rire. La gifle qui avait immédiatement suivi, il s’y attendait, mais le sourire goguenard de ce garçon, qui décidément le surprenait, et le naturel avec lequel il lui tendait à présent la main d’un air complice le déconcertaient.

 - Dick Casablancas.

 - Echolls, Logan Echolls.

 Le blondinet ne sembla pas tilter, se retourna rapidement pour suivre du regard un dernier instant les courbes harmonieuses de la prof qui disparaissait à l’angle du couloir.

- Dude, tu as vu ça ? J’ai rencontré Dieu aujourd’hui, il fait du 90 D.

- Félicitations, tu viens de vivre ta première révélation. Tu devrais voir les « collègues » de mon père…

- Ton père ? Il bosse dans une église ? 

Logan le regarda un peu décontenancé. Le ton de son nouveau camarade le laissait dubitatif, était-il stupide ou juste très drôle ? Il choisit de croire que c’était la seconde solution et sourit simplement. Cette nouvelle année promettait d’être haute en couleurs avec un garçon pareil à ses côtés. 

 Son père un curé ? Bizarre, il n’avait pas trop l’air d’un cul béni… Comme il n’avait pas répondu à sa question, Dick haussa les épaules. Peut-être Logan souhaitait-il que la profession de son père reste secrète. En même temps, fils du curé, ça se comprend !

 Il sourit à Logan.

 - Hey Dude, ton père on s’en fout non ? 

 Logan sourit, décidément il l’aimait bien ce petit blond. Les nuances, au fond, qui s’en souciait ?

 - Yep mec, totalement. Tu m’accompagnes ? J’ai cours de maths, et j’ai cru comprendre que ça valait le détour.

 Dick sourit largement.

 - Aujourd’hui les lois de la pesanteur, ou comment calculer l’amorti d’un airbag. Tu vas voir, ça déchire.

Ecrit par Lealoeu et Sofy95280