Fic 6

Le lieu lui semblait étranger. Pourtant à voir comment son frère s’y comportait, il devait lui être familier, la fratrie ayant rarement été séparée. Encore une chose que son brillant frère avait de plus que lui : une mémoire hors norme, qui retenait aussi bien le détail que la généralité, l’essentiel aussi bien que le superflu. Était-il possible qu’ils venaient enfants avec leur mère dans cette immense bâtisse ? Les rares souvenirs de ses dix premières années étaient souvent liés à des bimbos qui avaient jalonnées la vie de leur père.

Dick fronça les sourcils, marquant ainsi l’effort visible qu’il faisait pour se remémorer les lieux visités avec sa famille. En s’apercevant que son frère avait disparu dans le dédale de couloirs qui s’ouvrait devant lui, il décida de laisser sa quête du passé en l’état et de se concentrer sur la recherche de ce qui lui servait de frère. Un petit être rachitique, qui parfois l’inquiétait mais qu'il enviait secrètement.

Lui, le grand blond faisait le pitre, épatait la galerie, séduisait son père par ses frasques mais il savait mieux que personne que le rôle du fou du roi resterait un rôle pour un intermittant du spectacle. Il cesserait de faire illusion et ce jour-là le grand Richard Casablancas reconnaitrait Cassidy comme son unique héritier. Et lui … Lui resterait l’accro aux bimbos. Ah ce qu’il détestait ces prises de conscience douloureuses. Vite retrouver son frère .. Il avait besoin d’un souffre-douleur.

« Te voilà, hobbit ! laissa-t-il échapper entre deux tentatives pour récupérer son souffle, en haut des escaliers qui menaient à la terrasse.

- Tu me cherchais ? grimaça le jeune homme. Comme tu vois je profite de la vue, oubliant que je ne suis pas le seul habitant de ce lieu … que je dois encore une fois partager avec toi. »

Dick s’avança doucement vers le bord et jeta un coup d’œil rapide dans le vide. Il détestait depuis toujours l’effet que lui procurait la hauteur. Son mètre quatre vingt cinq était une altitude bien suffisante !

« Dans l’immensité de ta tête de demi-homme, je me disais que tu avais bien dû noter les distractions du coin ? »

La bouche de son jeune frère se déforma entre le sourire maladif et la douleur de ne pas être considéré comme un homme à part entière.

« Pourquoi parler ensemble n’est pas suffisamment agréable ?

- Distractions, Beav .. Tour de poitrine, alcool, salle de jeux, sex shop … pas le musée ou le cimetière où est enterré Hemingway

- Ouah… Tu connais Hemingway … là tu me sidères, frérot.

- Sa petite fille a des miches incroyables et tu as un je-ne-sais-quoi qui me le rappelle… Pousse un gémissement pour voir ? »

Le regard triste que lui jeta Cassidy le mit mal à l’aise et il sortit la seule parade qu’il connaissait : un éclat de rire passe-muraille qui sous un aspect de confiance en soi et de j’en-foutisme permanent dissimulait toutes les failles existantes ou à venir.

« Effectivement, je ne t’intéresserai jamais Dick. Pas assez cool pour toi, pas assez alcoolique pour notre mère, pas assez confiant pour notre père, pas assez sexuel pour Mac. Pas assez … »

Cette conversation mettait définitivement Dick mal à l’aise. Cette demeure luxueuse lui glaçait le sang, sous ses apparats, il sentait le vide, que la proximité du rebord de la terrasse n’arrangeait en rien.

A cet instant précis, il aurait aimé se trouver sur sa planche de surf dans un élément qu’il maitrisait, avec des personnes qu’il cernait, qu’il appréciait. Son frère de sang … Logan.

Depuis cette rencontre matinale, au lendemain d’une de ses premières nuits arrosées, sur une plage déserte il y a quelques années de cela, il avait souvent regretté ne pas pouvoir choisir sa famille. Pourtant rien de glorieux, il ne tenait pas debout et il n’arrivait pas à mettre sa planche à l’eau. Et un gamin de son âge s’était moqué de lui. Dick avait alors voulu lui en mettre une mais il avait raté sa cible et n’avait fait qu’effleuré le flanc du fils Echolls qui pourtant avait grimacé de douleur. Leurs regards s’étaient croisés et dans les effluves de mélange de whisky et de vodka, ils avaient tacitement scellé leur amitié sur un secret honteux pour l’un, haineux pour l’autre.

Néanmoins alors que d’habitude le seul fait de penser à Logan suffisait à ramener le fun, cette fois-ci, il n’en était rien. Décidément cet endroit devait être maudit pour même chasser de son esprit tout souvenir heureux.

Le sourire narquois de son frère qui le dévisageait perdu dans ses pensées l’agaça. C’était de sa faute s’ils en étaient là après tout .

« Et oui je ne serai jamais le grand Logan Echolls, mon cher Richard Junior. Parce que c’est bien à lui que tu penses en ce moment, n’est-ce pas ? Ton frère de sang … je suis prêt à t’offrir du mien si tu es en manque.. Mais que suis-je après tout, à part ton frère? Je crois que j’ai jamais détesté quelqu’un autant que lui. Tout lui sourit. Mais je dois dire que sa relation avec Veronica m’a réconforté. Enfin il allait souffrir, être un peu à ma place … »

Cassidy regardait l’horizon un sourire aux lèvres; visiblement heureux de pouvoir prétendre prendre l’ascendant sur une des coqueluches du lycée.

- T’es tombé dans ma consommation personnelle ou c’est l’altitude qui te prive d’oxygène , Beav’ ? Toi qu’as-tu bien pu faire à Logan ? Toi ? Beaver ? Te réjouir de sa rupture avec la miss Détective ? Une de perdue, dix de retrouvées ! Glisser ta langue dans la bouche du génie effrayant qui l’accompagne ? »

Dick partit dans un éclat de rire incontrôlé.

Il était habitué aux relations aberrantes, sa relation avec Madison n’était pas des plus épanouissantes mais au moins elle assurait au lit et il pouvait pavaner en société.

Son frère lui s’était rabattu sur une fille qui lui foutait les chocottes et qui avait autant de sex appeal qu’un tracteur de tuning.

Le visage de son frère restait impassible. C’était ce qu’il appréciait le plus chez lui : il était un merveilleux défouloir. La victime idéale. Malgré son QI de génie, son frère ne faisait preuve d’aucune répartie et grâce à cela, Dick se sentait quelques instants le roi du monde. Il adorait ce moment où son frère optait pour le silence et où il prenait un malin plaisir à insister lourdement.

« Alors Beav ’, ta vengeance c’est quoi ? » ricana Dick

Beaver s’approcha du vide.

« Je lui ai pris les deux choses les plus précieuses à ses yeux : la virginité de sa petite-amie et l’amitié de son meilleur ami… »

Dick regarda son frère stupéfait : il ne comprenait rien au baratin sans queue ni tête de celui-ci. Décidément cette maison leur montait à la tête. Le décor de la terrasse tourna autour de lui et dans un lointain brouillard, il entendit la voix de son frère ajouter :

« Et au fait, Dick , mon nom est Cassidy … »

 

En sueur, les larmes au bord des yeux, Dick se redressa d’un coup. A ses côtés des bouteilles vides, les restes d’un feu de camp et le clapotis des vagues sur le sable.

Le visage hagard, les yeux cernés, le teint brouillé par les nuits sans sommeil, il prit sa tête entre ses mains et doucement se mit à sangloter.

Ecrit par Babou31